Cours de récré, le lieu principal de tous les affrontements, les jugements, les méfiances et les délices, juste avant la fin de la pause de midi, alors que nous jouions à un foot des plus brutales (le wanagain show, foot dans lequel un cailloux nous servait de ballon un banc en pierre de but et où tous les coups étaient permis) nous voyions arriver près de notre coin attitré une jeune fille à l'air un peu étrange, un air différent. La partie, étant depuis longtemps bien entamée, se met en pause d'elle-même. Nous ne l'avions jamais vu s'aventurer par-ici. Il était nécessaire de la tester, voire ce qu'elle valait pour se placer près de nous, seule. Aujourd'hui, je classifierais cette adolescente comme une âme évasive, touchée par quelque chose que nous ne pouvions ne serait-ce qu'apercevoir. A l'époque, elle était juste bizarre. Elle avait visiblement repris la lecture d'un livre commencé plus tôt dans la journée. Le marque-page était encore assez proche de la couverte et on avait assez de perm's dans ce bahut pour n'avoir qu'effleurer un recueil. Cela était loin de nous arrêter, même si j'avançais déjà avec du recule. Lecteur moi-même, je détestais l'idée de déranger quelqu'un dans cette activité, ô combien rare. Malgré mon ressentiment, je finis par emboîter le pas à mes potes. Nous vînmes rapidement devant cette personne pour se placer en cercle devant elle, méfiants, mais déjà sûrs d'être vainqueurs de la confrontation. Portées par le soleil de midi, nos ombres dessinèrent sur son visage concentré un voile sombre. Nullement gênée par notre présence, la jeune fille n'arrêta sa lecture qu'une fois le premier"hé!" lancé. Aucune surprise. Aucune émotion. Rien. Elle nous regarda tranquillement, comme-ci rien au monde ne pouvait la toucher. Les attaques commencent tout de suite. Ça se picote gentiment avec quelques touches rapides et efficaces. Mais, elles sont balayés d'un geste calme de la main. Du coup, ça se lance sur les plus forts, du plus cruel, ça vise la famille, les amis, les vêtements, le visage, mais rien ne semble faire mouche. Alors, les armes se retournent contre les agresseurs de la manière la plus efficace qui soit : la parole. Nous sommes, uns par uns, charmés. Les fils de la toile s'entrelacent tranquillement autour de nous. Elle finit par nous tenir complètement en son pouvoir. Elle ne lâche rien et nous sonde avec efficacité. De ses lèvres, les mots suivent son regard, portés par magie derrière nos portes les plus intimes. Aucunes barricades ne résistent, aucuns verrous ne survient face à cet assaut d'une vertigineuse puissance. La fuite est le seul échappatoire. On rit jaune, on redresse les épaules avec gaucherie, on écrase une dernière fois la furieuse fourmilière que nous venons d'approcher et nous nous éloignons reprendre la partie qui était commencée. La pause de midi était presque terminée, il fallait réussir à pousser le score un peu plus loin. La cloche finit par sonner, qui a gagné, au final, on s'en fout car, le corps, marqué par quelques coups bien placés, ronronnent de contentement en se dirigeant vers un repos bien mérité. C'est l'esprit qui va devoir travailler maintenant. La journée se termine. Le sac sur les épaules, le court trajet de bus, les derniers saluts à l'arrêt du village - juste devant la mairie, l'église et le panneau jamais à sa place -, puis le portail marron et la chambre remplit de bouquins. Les lumières s'éteignent lorsque les plus belles étoiles montrent le bout de leur nez.